Mais quand ?
Quand me lâcheras-tu ?
Oui quand ?
Quand le voudras-tu ?
Il est un supplice pour tant de surdoués
De devoir affronter leur pensée zébrée
Incessante
Épuisante
Insistante
Pontifiante
A reconstruire un moteur sans l’aide du crayon
Regonfler un PIB, piloter des avions
Rien d’impossible à Monsieur cerveau-roue libre
Qui tournicote tresse et vibre
A n’importe quelle heure du jour
Dispense ses beaux tours
Et quand vient la nuit
Ô mon esprit
L’heure du repos
Si doux si beau
Tu te refuses à lui
Agrippé à ta vie
Pensées pensées pensez-vous
Qu’elles vont nous lâcher ?
Elles sont là grincheuses,
Riches ou bien lumineuses
Ruban dévidé
Vers la plus haute nuée
Et parfois même
Elles sèment
Jusqu’aux confins du possible
Chuchotant l’indicible
Les journées des lendemains
Révélant d’autres matins
Le futur prévenir
Prédire
Comment y échapper ?
Si seulement on savait
La pensée fractale
Qui creuse et déballe
Ouvre toutes ses malles
Méandres et détours
Part toujours au labour
Dis-nous lâcheras-tu un jour ?
Dans la population des personnes à haut potentiel, nombreux sont ceux qui se plaignent de ne jamais pouvoir se sentir « centrés » parce que leur pensée s’éparpille en permanence, chaque idée en engendrant dix autres, qui elles-même se démultiplient. De plus, les nouvelles technologies incitent à ce genre de débauche d’idées.
Vous qui me lisez et êtes surdoué, lorsque vous écrivez sur votre ordinateur, combien avez-vous d’onglets ouverts en même temps sur votre moteur de recherche ? Et pas seulement pour vérifier l’orthographe de votre texte !
Combien d’entre vous sont régulièrement accusés d’être distraits, la tête ailleurs, se cognent en marchant dans la rue ? Parce qu’en fait vous pensez à autre chose, à plusieurs autres choses en même temps ?
Combien d’entre vous peuvent rester sans rien faire ? N’ont pas toujours un livre ouvert, un projet en cours, un logiciel à revoir et un texte à écrire cependant que cuit le repas ?
Combien d’entre vous se sont entendu dire « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué » tant votre pensée foisonnante peut paraître tortueuse ?
Certains se plaignent même de ne pouvoir arrêter le débit lorsqu’ils font l’amour ! Et pour s’endormir… quel calvaire ! On est comme l’araignée au milieu de sa toile, à dévider les fils, à tisser de l’improbable, à parfaire un raisonnement et à un minuscule moment qu’il ne faut surtout pas rater, hop, on tire le fil qui conduit au sommeil mais qui peut tarder à se présenter.
Et il ne s’agit là que de la pensée émergente, de celle dont on a conscience et qui dit clairement son nom « je m’appelle incessante ». Mais il y a l’autre aussi, la sous-jacente, celle dont on a à peine conscience et qui vous conduisait droit à la bonne réponse lorsque vous étiez enfant. La solution vous apparaissait en un éclair, la formule mathématique, le poème, telle espèce de reptilien en cours de science. Paf ! d’un coup ! Et le raisonnement qui y avait conduit était perdu, passé trop vite, vous en étiez tout étonné, incapable d’expliquer pourquoi et comment vous saviez.
La pensée éclair était la mal-aimée de vos années d’école et vous l’avez refoulée comme une mauvaise fréquentation mais ne croyez pas qu’elle ait simplement pris la porte. Non, elle est là, toujours, c’est elle que vous nommez intuition, elle qui vous fait pondre en un rien de temps le bilan comptable, tel article de synthèse ou un compte-rendu de travail auquel vous n’aviez cessé de penser sans même le savoir.
A tout cela se superposent, se surconnectent et s’entrecroisent les stimuli ininterrompus envoyés par les sens. Comment ne pas rajouter un fil de pensée brute vite ramifié si le shampoing sent trop fort le caramel, si le cœur cogne comme une chanson d’Iggy Pop, si le toucher des sièges de la voiture fait hérisser le poil exactement comme tel autre jour dix ans plus tôt ? (car votre mémoire a beaucoup de giga octets), si vous entendez au même niveau toutes les conversations et que vous comprenez toutes les langues ce qui vous rappelle que …. si l’univers entier a oublié de baisser le son et que tout ces décibels, ça épuise.
Et vous vous étonnez d’être sans cesse fatigué ? Vous accusez le climat, le manque de vitamine C et les gosses pendant qu’un burned-out vous guette. Et quand vous soufflez au centre de votre tourbillon en un ultime sursaut, le sur-place vous angoisse et vous donne le vertige.
On devrait enseigner aux petits zèbres, dès le cours élémentaire, quelques techniques de méditation. Plus un cours qui s’intitulerait « comment structurer et organiser sa pensée », plus un cours de technologie sur comment contrer une odeur nocive par une positive, comment utiliser des boucles Quiès, que programmer sur son mp3 pour amoindrir le vacarme du monde, à quelle fréquence fermer les yeux sur son sourire intérieur, comment apprendre à apprendre un seul truc à la fois.
Ça servirait toute la vie.
V. L.