Ce texte est une tentative de bilan lié à l’accompagnement dans sa différence d’un enfant surdoué à l’usage de tout parent désorienté face à son zèbre.
Ce bilan s’étend sur un petit nombre d’années car les résultats liés à cet accompagnement ont été rapides. Néanmoins, ce type d’enfants requiert une attention particulière et il faut renouveler sans cesse les outils d’aide au développement de sa personnalité. Il n’est donc qu’un exemple parmi d’autres mais apporte de l’espoir, c’est pourquoi je partage cette expérience.
Notre famille a en effet bénéficié des conseils et de l’aide concrète de nombreux autres parents d’enfants surdoués via le web. Grâce à des réponses rapides via un e-mail ou les réseaux sociaux aux questions que je posais à quelques personnes dont j’avais glané les noms sur des sites dédiés à l’époque où je n’y connaissais encore rien. C’est cette générosité, cette disponibilité que je veux renvoyer aujourd’hui afin que la chaîne se continue. Je veux me rendre aussi disponible qu’on l’a été pour moi.
Comprendre qu’on a un enfant surdoué
Avant toute chose, et parce qu’il est fort probable que cela vous interpellera, comment avons-nous compris qu’il fallait accompagner notre petit « hp » dans sa différence ?
De mémoire, je dirai constatation effarée de son taux d’angoisse existentielle à un âge où on devrait juste s’inquiéter pour le bras décousu d’un doudou. Suivi d’un déluge de questions sur la mort et d’une démarche d’engagement religieux directement liée à une recherche de réponses métaphysiques pour calmer ces angoisses. Et cela vers 3-4 ans.
Il y a eu aussi un net refus de participer en classe suite à la pression scolaire massive qu’il subissait (école trop axée sur les notes et les performances façon Corée du Sud dès la maternelle). Ce qui se traduisit par diverses attitudes comme refus d’enlever son manteau, la tête entre les bras sur le pupitre, ou bien prétendre qu’il est à moitié sourd et ne peut entendre la maîtresse et bien sûr le classique pipi au lit.
On en était arrivé à des répliques du genre « je suis nul », « je ne vaux rien ». Pour aboutir quelques mois plus tard, lorsque de nouveaux « camarades » de classe l’avaient repoussé, tombant dans le panneau archi classique de l’ostracisation du petit « pas comme les autres » à : « je préfèrerais mourir, pourquoi vous m’avez fait exister ? », « ce serait mieux si je n’existais pas, au moins je serai tranquille ».
Si je résume les différentes stratégies mises en place pour aider notre fils en détresse, je dirai que dans un premier temps, nous avons consenti à répondre à toutes ses questions, même si cela paraissait insensé pour de nombreux adultes de notre entourage. Ils nous regardaient, effarés, le conduire au cimetière local, l’amener à des cérémonies mortuaires. Ceux-ci en effet pensaient que répondre aux questions concernant la mort créait l’angoisse plus qu’elle ne l’apaisait. Aucun n’a pu prendre conscience de l’incroyable crudité et profondeur de ses interrogations. Nous-mêmes en étions confondu. Mais la découverte des stratégies mises en place dans les codes sociaux pour affronter le vide, le manque de la mort le rassuraient. Il avait adoré le cimetière.
Et nous avions aussi permis qu’il aille à la mosquée puisque nous vivons en terre musulmane. Nous aurions été au Japon il serait allé au temple, en France à l’église. Nous avons juste insisté pour qu’il préserve toujours sa liberté de pensée. « Rien n’est obligatoire, tu crois en ce que tu veux, tu te fais ton idée toi-même, même si c’est long et difficile », martelais-je. Il n’est pas inutile de rappeler que cette crise a commencé dès l’âge de 2 ans. On avait l’impression qu’à deux ans il avait déjà vécu 3 vies. La mosquée le déçut terriblement.
Vers 5-6 ans, on le vit commencer à tout juste surmonter l’angoisse métaphysique mais pas celle de la vraie vie, son estime de soi étant au plus bas.
Le moment de la rencontre avec la psychologue
C’est alors que nous jugeons qu’il est de notre devoir de le conduire chez une psychologue clinicienne spécialiste du haut potentiel. Nous prenons conseil auprès de l’ANPEIP. Le Wisc IV confirme la douance et l’analyse de personnalité via le test projectif de l’arbre démontre une forte dévalorisation de soi. La psy insiste pour qu’on le change d’école.
Nous obtempérons et prenons le parti d’informer notre enfant de sa différence cognitive. Nous le voyons soulagé : il y a donc une explication ! je ne suis pas fou ! Nous jonglerons désormais entre l’aider à assumer sa différence et ne pas se reposer dessus. Un an et demi après le bilan psy, nous n’en parlons plus jamais.
Nous apprenons qu’avec un enfant à haut potentiel, il faut toujours prendre très au sérieux les angoisses qu’il manifeste sans pour autant avoir avec lui des conversations qui l’installeraient dans son mal-être. C’est du moins une des conclusions que j’ai pu tirer de cette expérience. Par exemple, il dit qu’il entend mal ? La maîtresse le dit aussi ? Dès que nous rentrons en France, nous le conduisons chez un ORL réputé dans une clinique ultra moderne où il s’entend dire par un docteur très fin qu’il a une ouïe plutôt au-dessus de la moyenne et que donc « qu’est-ce qui ne va pas ? quel est le message que tu veux faire passer à tes parents ? ».
Non seulement cela lui permit d’en prendre pleinement conscience, d’avoir un médiateur pour faire passe le message « mon problème entre autres c’est l’école qui me met trop la pression » mais en plus il comprit que nous prenions ses angoisses au sérieux, qu’il était écouté et accompagné.
Le tout suivi d’un cours sur l’hypersensibilité sensorielle afin de lui apprendre à ne plus craindre que l’eau de la douche ou la soupe soit trop chaude, que dans son cas précis c’est normal et qu’il devra toujours anticiper, pour les cinq sens. Et que d’ailleurs parfois, c’est très utile d’entendre ou de voir très bien.
Nous avons géré les pipis au lit par une soi-disant indifférence « c’est pas grave, ça partira tout seul » et un changement quotidien de literie sans broncher. Mais traité par une séance d’hypnose qui s’apparenta plus à de la sophrologie dans son cas étant donné son très jeune âge. Dès le lendemain, et pour tous les jours à venir, il se réveillait dans un lit propre.
Toutes ces démarches, suivies de menues victoires, d’explications validées par la caution et le sérieux de cabinets médicaux lui permirent de remonter un à un les barreaux de l’échelle au bas de laquelle il avait dégringolé.
Nous prenions soin d’inscrire chaque visite médicale d’une sortie ludique pour que la mémoire fixe les deux ensemble, le soulagement et le plaisir. Après la psy, la visite de la Cité de Carcassonne, après l’ORL, un centre d’art contemporain, après l’hypnose, une expo sur les avions d’Airbus. Et des menthes à l’eau dans des bars.
Le changement d’école qu’il souhaite ardemment pourtant, est l’occasion d’un vrai drame et il nous faudra beaucoup de patience et de réflexion pour parvenir à comprendre qu’il lui semble trahir l’école qu’il quitte.
Nous nous rendons en grande pompe dans le bureau de la directrice de l’école délaissée pour dire au revoir, suivi d’un énorme câlin dans les bras de la maitresse qu’il ne reverra pas. Devant lui, nous expliquons à la directrice que nous le changeons d’école pour telle ou telle raison. L’honneur est sauf.
Après quoi, ravi, il se sent prêt pour passer des tests dans la nouvelle école pour évaluer son niveau d’arabe. Galvanisé, il prétend adorer les test, être un vieux routard du genre et il pulvérise les scores. Bien que français, il sera mis au même niveau que les arabophones.
Nous démarrons alors un campagne de longue haleine de revalorisation, le félicitant sans cesse, bannissant de notre vocabulaire tout mot dépréciatif, de ces petits mots qu’on utilise sans même y penser parce que transmis par nos propres parents, les « mais tu n’as pas vu ou quoi ? A quoi tu penses ? c’est pas possible tu fais exprès » ces locutions qu’on dit sans y penser. A la place on dit « waow mais c’est super, tu vois, encore un progrès, » etc. Tout le temps, toute l’année. Et dès qu’il a un bon bulletin, on l’amène au resto.
Comment gérer les relations avec l’école ? Quel type d’enseignement choisir ?
Cette nouvelle école, nous prenons le parti de l’informer tout de suite de la particularité de notre enfant, bilan psy à l’appui. C’est une école privée habituée aux exigences des parents. Là encore, bien nous en a pris car lorsque les problèmes surviennent, ils nous écoutent et mettent en place des stratégies qui marchent.
Il souffre du bruit dans la classe ? ils acceptent le changement de groupe en cours d’année. Ce nouveau groupe ostracise l’enfant qui se permet d’arriver en cours d’année ? Une maîtresse organise une ronde avec un jeu pédagogique sur le thème du rejet et la responsable de l’école, un peu plus tard, promet de mettre une claque aux récalcitrants.
Nous avons donc aidé notre enfant mais l’école aussi. D’après notre vécu, cela est très important.
Nous avons décidé d’accompagner ce travail des méninges d’un travail du corps depuis au moins deux ans en l’inscrivant au tennis. Maladroit, légèrement dyspraxique, il a besoin de sentir exister son corps pour sortir de sa tête.
Cette école cependant, a les limites que rencontre tout système lié au grand corps administratif. De même qu’en France, l’uniformisation fait des ravages. Et voilà que lorsque la difficulté de la langue arabe ne suffit plus à stimuler notre fils intellectuellement, l’école, arguant d’une informatisation générale du système scolaire empêchant quiconque de sortir des sentiers battus (pas de redoublement et pas de saut de classe) refuse de lui permettre de sauter une classe. Or, nous sommes confrontés au problème de ses pulsions d’auto-mutilation vers les trois quart de l’année scolaire : il se tape la tête contre les murs ou le pupitre, se met des claques en public, de plus en plus souvent, de plus en plus fort.
Quelques discussions avec d’autres parents d’enfants surdoués sur des groupes de discussion des réseaux sociaux nous apprennent qu’un saut de classe peut faire cesser ou du moins espacer ces symptômes d’angoisse.
L’école, alertée, propose alors un système original d’auditeur libre. L’année d’après, notre fils pourra aller y suivre des cours au niveau qui est le sien s’il sort du système administratif. Deux jours et demi par semaine, il suit des cours d’arabe, de français, d’anglais et d’informatique, plus la gym au niveau CE2 en sortant du CP, le reste de la semaine il suit un enseignement à la maison pour les maths, le français (de France !), l’histoire et la géographie.
Je m’adapte à ses difficultés. Par exemple, puisqu’il a appris les maths en arabe jusque là, je ne lui fais pas sauter une classe dans cette matière pour lui permettre d’acquérir le vocabulaire en français. J’applique plutôt la méthode de l’accélération. Il suit donc le programme de CE1 en 3 mois avant de passer au niveau CE2. Pour les autres matières, en CE2 directement.
Fort heureusement, une autre petite française a besoin de mes cours pour échapper aux maths en arabe et profite des mêmes aménagements scolaires. Ce qui me permet d’avoir un semblant de petite classe qui aide les deux enfants à entrer en situation. Ils progressent rapidement.
Le sport
Nous prenons soin aussi de privilégier ses relations amicales avec quelques enfants qu’il aime, le conduisant chez eux ou les invitant, lui permettant d’y dormir, l’inscrivant aux mêmes sports extra-scolaires. C’est ainsi qu’il a commencé cette année des cours de tae-kwon-do et je ne saurais trop recommander aux parents d’enfants surdoués d’inscrire leurs enfants, filles ou garçons, à un cours d’art martial. Sa prise de confiance en soi grâce à ce sport est spectaculaire et vraiment, on ne l’entend plus jamais s’écrier « je suis nul » comme souvent.
Je cite ici Arielle Adda » Moi j’en suis aux sports de combat. Je trouve qu’une bonne maîtrise, de bonnes réactions, une bonne auto-défense, cela renforce un peu l’image que l’on a de soi, ça donne la faculté de réagir vite, même si c’est intellectuel, pas physique. Ça ne veut pas dire qu’ils vont cogner sur tous les gens qui leur disent des choses désagréables, mais ça donne une meilleure maîtrise de soi. Et en même temps, de comprendre pourquoi les autres disent des choses désagréables, de relativiser, de ne pas prendre les méchancetés qu’on leur dit au premier degré, comprendre que les gens sont jaloux, qu’ils supportent mal une supériorité qu’ils ressentent. Dans le milieu du travail c’est fréquent ça. Ils souffrent assez dans le milieu du travail. »
http://www.planete-douance.com/specialistes/06/2014/arielle-adda-enfants-doues-comment-vivre/
Le tae-kwon-do permet donc de préparer l’avenir…
Dans le même temps, il a fallu se raisonner, se contraindre, se forcer l’esprit pour intégrer que cet enfant qui vous fait un exposé sur l’espace ou sur l’entomologie, qui vous sermonne à propos de la chaîne alimentaire et la protection de l’environnement, dont les principes moraux sont si élevés qu’il se dénonce à la place de ses camarades, cet enfant est petit, tout petit en fait.
Et sa soif de tendresse est au moins aussi grande que sa soif de connaissance. Il est difficile de discuter d’égal à égal avec un petit bonhomme de sept ans et le voir juste après se jeter sur vous en ronronnant « maman » parce qu’il veut un câlin. Il faut le coucher longtemps le soir, le laisser fourrager dans les cheveux et se lover. Il réclame sans cesse des bagarres de coussin et de chatouilles à son père, pour pouvoir rigoler et se frotter contre lui.
Ce phénomène de dyssynchronie, que nous avons découvert grâce à la lecture de Jean-Charles Terrassier, est très présent. Il faut lui donner sa ration de câlins, lui dire qu’on l’aime même si ça gêne les adultes de notre entourage qui trouvent qu’on va en faire un trouillard, un fils à maman, un homo etc. Ils ne savent pas mais jugent. Il faut être forts et résister à la pression sociale.
Sur la dyssynchronie, je renvoie à cette interview : http://www.planete-douance.com/specialistes/06/2014/jean-charles-terrassier-enfants-haut-potentiel-histoire-dun-combat/
Aujourd’hui, nous avons un enfant épanoui de 7 ans et demi qui ne parle plus jamais de la mort ou de Dieu, ne se frappe plus, n’a plus l’air buté.
Au contraire, dès qu’il se lève, il chantonne, bricole, joue, rigole, part à la voiture qui le conduit à l’école en courant de bonheur.
Après avoir découvert sur le blog Kaléidoblog, un « tableau récapitulatif de la liste des traits censés définir l’individu surdoué », http://www.kaleidoblog.net/reflexion-sur-la-liste-des-traits-censes-definir-lindividu-surdoue/, j’avais eu l’idée d’écrire une série de billets en choisissant des thèmes du tableau afin de démontrer qu’en traitant très en amont les particularités liées à la douance (gauche du tableau), on pouvait éviter d’en arriver aux pathologies (droite du tableau). La créatrice du blog avait accepté de les publier.
Je vous renvoie donc à cette série d’articles si vous reconnaissez votre enfant dans le bref descriptif ci-dessus. http://www.kaleidoblog.net/voyage-dans-un-paysage-mentalintroduction/
Maintenant est arrivée l’heure du bilan. Il est en vacances, j’entends mon fils jouer dans la cour comme tous les enfants du monde. Nous pouvons enfin souffler un peu.
PROBLEME |
STRATEGIE |
RESULTAT |
Questionnement métaphysique | Réponse à toutes les questions, lecture d’ouvrages sur la question, accès à un lieu de culte | Plus d’angoisse, croit au Paradis, en aime l’idée |
Angoisse de la mort | Réponses à toutes les questions, visite sur les lieux de la mort (cimetière, deuil) | Plus aucune manifestation d’angoisse liée à la mort |
Estime de soi très basse | Changement d’école, encouragements quotidiens, valorisation des bons résultats | Perte du vocabulaire « je suis nul » acquisition du vocabulaire « t’as vu j’ai réussi » |
Hypersensibilité sensorielle | Visite chez un ORL | atténuation des symptômes liés à l’hypersensibilité |
1ère école : refus de participer | Changement d’école | Participation totale |
Enurésie depuis des mois | 1 séance d’hypnose après avoir vu la psy et l’orl et reçu une explication sur son fonctionnement cognitif | Fin de l’énurésie dès le lendemain |
2ème école : en avance sur les autres, auto-mutilation | Assistance auprès des autres enfants puis l’année suivante cours à la carte (école + maison) | Enfant totalement épanoui, arrêt total de l’auto-mutilation |
Dyssynchronie affective | Réponse systématique aux besoins de tendresse | Un tout petit moins en décalage mais encore fortement dépendant |
Dyspraxie, maladresse, tensions due aux pensées incessantes | Pratique du sport : tennis dans un 1er temps puis rajout du tae-kwon-do | Meilleure gestion de l’espace, moins maladroit, estime de soi regonflée |
Ecriture lente et laborieuse | Accent sur l’oral et le dessin pour les cours à la maison | Ecriture meilleure, estime de soi meilleure |
Veut tout savoir | Libre accès à un ipad avec application Larousse junior et autres appli éducatives, accès aux documentaires sur (arte, bbc, histoire, ushuaia, etc), réponse aux questions, cours avec peu de notions mais très poussées (livre scolaire+dessins sur le sujet+ docu+ dessin animé) | Rassasié, réclame moins |
Dit qu’il veut mourir, peur du noir | Tout ce qui est écrit au-dessus + respect de sa peur du noir, on n’ironise pas, on allume les lumières | Chante, joue, bavarde sans cesse, trouve que la vie est belle, n’a plus peur du noir |
Phobies alimentaires | Respect de ces phobies, aménagement des repas en fonction, cours sur les valeurs nutritives, les groupes d’aliments | Lente sortie de diverses phobies, notamment en lien avec les goûts nouveaux, mais pas celles en lien avec les textures. |
Valérie Lafont