Paris, le 9 janvier 2017 – Acquérir une « expertise » nouvelle, comme le jonglage ou la lecture repose sur des changements dans le fonctionnement de notre cerveau. Que se passe-t-il dans notre cerveau quand nous apprenons à lire des mots ou de la musique ?
Le Professeur Laurent Cohen, neurologue et chercheur à l’ICM, répond à nos questions.
Savoir lire se « voit-il » dans notre cerveau ?
La lecture est une invention récente, 5000 ans environ, qui joue un rôle central dans tous les aspects de notre culture, mais pour laquelle nous ne disposons pas de mécanismes cérébraux innés. L’apprentissage de la lecture pendant l’enfance s’accompagne donc de modifications anatomiques et fonctionnelles dans diverses régions cérébrales. Par exemple, une zone spécialisée dans la reconnaissance visuelle des lettres apparait dans la région occipito-temporal gauche, et cette région établit des liens privilégiés avec les régions du langage, où les lettres, une fois reconnues, peuvent être transformées en sons et en significations
Comment peut-on voir ces modifications dans notre cerveau ?
Les mécanismes cérébraux de la lecture peuvent être étudiés par toutes les méthodes d’imagerie cérébrale, toutes disponibles à l’ICM : l’IRM fonctionnelle, qui permet d’observer l’activation des différentes zones du cerveau, l’IRM anatomique, qui permet d’étudier de subtiles modifications dans la structure de la matière blanche et de la matière grise, mais aussi l’électro- et la magnéto-encéphalographie, qui permettent d’analyser au cours du temps la circulation de l’information dans le cerveau.
Si apprendre à lire des mots entraîne de tels changements dans notre cerveau, que se passe-t-il lors de l’apprentissage d’autres systèmes symboliques, comme les notes de musique ?
Nous avons cherché à comprendre comment, au sein du système visuel cérébral, peuvent cohabiter deux compétences expertes distinctes : la lecture des mots et la lecture de la musique. Pour cela, nous avons présenté à des musiciens professionnels ou à des sujets musicalement naïfs, d’une part des mots écrits et d’autre part des extraits musicaux, eux aussi sous forme écrite, tout en recueillant des images d’IRM fonctionnelle.
Nous avons ainsi montré que la musique et les mots activent des régions très voisines, mais distinctes, au sein du système visuel. De plus, chez les musiciens, la zone activée par la musique est plus étendue que chez les sujets naïfs, ce qui s’accompagne d’un petit déplacement de la zone des mots. Enfin, chez les musiciens seulement, les régions visuelles qui analysent l’image des partitions établissent des communications nouvelles avec les vastes réseaux cérébraux impliqués dans tous les aspects de la musique.
Que peut-on conclure de cette étude et quelles perspectives apporte-t-elle ?
La lecture, que ce soit celle des mots ou de la musique, sont des compétences nouvelles pour lesquelles notre cerveau n’est pas équipé de façon innée. La grande plasticité de cet organe lui permet toutefois de se modifier pour héberger ces nouvelles capacités : certaines régions acquièrent des fonctions nouvelles, et à plus grande échelle, des réseaux de collaboration se développent entre régions distantes.
A propos de Laurent Cohen :
Professeur de neurologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et à l’Université de Paris ; et co-responsable de l’équipe
« PICNIC Lab : Evaluation physiologique chez les sujets sains et atteints de troubles cognitifs », Laurent Cohen partage son activité entre la neurologie clinique, la recherche et l’enseignement. Ses travaux de recherche portent sur les mécanismes cérébraux des fonctions cognitives spécifiquement humaines, en particulier le langage et la lecture.