Autisme de l’enfant – Rester en alerte pour dépister au plus tôt
Les premiers signaux d’alerte des troubles du spectre de l’autisme (TSA) chez un enfant sont souvent repérés en premier lieu par les parents. Un diagnostic précoce étant essentiel pour agir au plus vite de façon adaptée, les médecins généralistes et les pédiatres sont les acteurs clés pour établir un premier bilan et initier les premières actions. Depuis février 2019, ils ont désormais la possibilité de réaliser une consultation dédiée, remboursée 60 euros, pour favoriser le repérage en cas de suspicion de TSA.
Pour aider les professionnels à accélérer les étapes jusqu’au diagnostic, la HAS a publié des recommandations sur le TSA, les signes d’alerte, le repérage et le diagnostic chez l’enfant et l’adolescent. Témoignages* de médecins et de parents impliqués dans cette problématique.
Le diagnostic des TSA est encore trop tardif. Or, plus il est posé tôt, plus les interventions pourront être mises en place précocement et aideront l’enfant dans son développement. C’est pourquoi « depuis le 11 février 2019, en cas de suspicion d’autisme chez un enfant, les médecins généralistes et les pédiatres ont la possibilité de réaliser une consultation longue, remboursée 60 euros », indique le secrétariat d’Etat chargé des personnes handicapées…
Alors que chez l’enfant le diagnostic d’autisme, ou de « trouble du spectre de l’autisme » (TSA), est actuellement posé entre 3 et 5 ans, un diagnostic dès 18 mois permettrait une prise en charge plus précoce qui pourra l’aider dans son développement. Dans ce contexte, les recommandations de la HAS impliquent les professionnels de la petite enfance et de la santé dans le repérage précoce des signes d’alerte de l’autisme. « Elles redonnent un rôle central aux médecins généralistes afin de proposer un maillage territorial plus fin, en particulier dans les régions faiblement dotées en dispositifs de diagnostic », souligne Georgio Loiseau, président de l’association l’Oiseau bleu et participant au groupe de travail des recommandations en tant que représentant des usagers. « Il est crucial que chaque professionnel de première ligne actualise ses connaissances pour pouvoir détecter l’autisme chez l’enfant et orienter les familles au plus vite et de manière efficiente », estime de son côté, Valérie Vérot, membre de l’association Autisme France et de Planète autisme 47.
Concrètement, ces recommandations proposent des outils pour mieux repérer les TSA, établir le diagnostic de l’autisme et initier un projet d’intervention personnalisé dédié à l’enfant.
Les indications des parents jouent un rôle majeur dès le début de ce processus. « Après avoir longtemps été la cible du diagnostic, les parents en deviennent des acteurs », note Georgio Loiseau. « La prise en compte de l’expertise parentale est primordiale car elle permet aux professionnels qui s’occupent des enfants autistes d’optimiser leurs interventions au plus près des besoins », ajoute Valérie Vérot.
Interview croisée entre le Dr Isabelle de Beco, médecin généraliste et le Pr Amaria Baghdadli, pédopsychiatre, coprésidentes du groupe de travail de la HAS ayant élaboré les recommandations.
Dans sa recommandation, la HAS préconise que le diagnostic de l’autisme chez l’enfant soit posé le plus tôt possible. Quels sont les signes d’alerte ?
Dr Isabelle de Beco – Chez l’enfant, on peut suspecter un trouble du spectre autistique (TSA) très tôt, dès lors qu’un déficit persistant de la communication orale ou gestuelle ou une insuffisance d’interactions sociales, observés dans des contextes variés, sont observés. De même, le caractère restreint des intérêts ou répétitif de certains comportements sont des signes d’alerte.
Les parents sont souvent les premiers à s’inquiéter d’un comportement qu’ils jugent inhabituel chez leur enfant. Fréquemment, ce sont eux qui repèrent et donc évoquent les difficultés rencontrées par leur enfant pour communiquer, par la parole ou les gestes, ou pour interagir avec les autres enfants. Ils évoquent aussi parfois des troubles du sommeil ou de l’alimentation.
Pr Amaria Baghdadli – Les signes d’alerte, chez le petit enfant, peuvent être un retard dans l’acquisition des premiers mots ou une absence de gestuel dans la communication, comme faire « au revoir » ou « coucou » de la main. Il peut également s’agir d’un déficit de l’« attention conjointe », autrement dit de la capacité de partager avec autrui un évènement : l’enfant ne répond pas aux sollicitations : il ne regarde pas dans la direction pointée par l’adulte, par exemple. Il peut aussi présenter des mouvements inhabituels des bras et des mains. L’inquiétude des parents est un signe d’alerte majeur : elle ne doit pas être banalisée ou minimisée. Les parents ont en effet une analyse très fine du comportement de leur enfant. Ils peuvent détecter très tôt des anomalies dans les relations avec leur enfant ou des régressions même très discrètes de ses habiletés.
Comment les professionnels de 1re ligne peuvent-ils détecter des anomalies du développement laissant supposer un autisme et quel est le rôle du médecin généraliste dans cette démarche ?
IB – Le médecin de l’enfant et les autres intervenants de la petite enfance disposent de repères, présents par exemple dans le carnet de santé de l’enfant. Lors des examens médicaux réguliers de l’enfant de 0 à 24 mois (et au-delà), les éléments concernant le développement psychomoteur (la réponse au sourire, le suivi du regard, les mouvements des bras et des jambes…) servent de repères pour observer et examiner l’enfant.
Au fur et à mesure que l’enfant grandit, ils permettent aussi aux médecins généralistes d’interroger les parents sur ses capacités de communication, sur ses réactions émotionnelles et ses habilités motrices.
Les nouvelles recommandations donnent des clés aux médecins généralistes, qui, auparavant, pouvaient se sentir démunis lorsqu’ils soupçonnaient un trouble neurodéveloppemental chez un enfant.
Les recommandations proposent de flécher dans le parcours une consultation dédiée en soins primaires. Quel est son rôle ?
IB – Les consultations motivées par des problèmes de santé aigus de l’enfant ne permettent pas toujours de repérer un développement inhabituel. Une consultation avec le médecin habituel de l’enfant doit être programmée rapidement dès lors que lui ou les parents ou l’entourage de l’enfant formulent des inquiétudes, en particulier sur la communication de l’enfant. Elle sera « dédiée » à l’évaluation du neurodéveloppement de l’enfant et à la recherche des signes inhabituels pouvant évoquer un TSA.
En plus de l’examen clinique et neurodéveloppemental adapté à l’âge, le médecin recueillera les témoignages des parents sur leurs inquiétudes et les interrogera sur les acquisitions et l’évolution de leur enfant.
Des questionnaires, outils de repérage des signes de TSA, tels que le M-CHAT (Modified Checklist for Autism in Toddlers) pourront être utilisés.
AB – Cette consultation permet au médecin d’orienter rapidement l’enfant vers des professionnels de santé pour des bilans d’audition, de motricité ou de qualité du langage, actuellement pris en charge par l’Assurance maladie. Une intervention de kinésithérapie ou d’orthophonie pourra avoir été initiée en 1re ligne et restera utile, que le diagnostic d’autisme soit confirmé ou non par l’équipe de 2e ligne.
Avec ces nouvelles recommandations, le généraliste devient un acteur de l’initiation des soins et non plus seulement du dépistage.
[Note de l’auteur : la consultation détaillée dans les propos ci-dessus est désormais remboursée à 60€, depuis février 2019].
Concrètement, en quoi consiste la consultation de 2e ligne ?
AB – Le diagnostic clinique de l’autisme est réalisé par une équipe coordonnée par un médecin et constituée d’un pédopsychiatre, d’un pédiatre, d’un orthophoniste, d’un psychomotricien et d’autres professionnels experts dans les troubles du développement. Cette équipe multidisciplinaire va, sur plusieurs jours, procéder à des évaluations qualitatives (capacités relationnelles et communicatives) et quantitatives (niveau intellectuel, langagier et moteur) en collaboration avec les parents et à l’aide d’outils standardisés inutilisables en 1re ligne.
Chaque spécialiste choisira les méthodes les plus pertinentes pour que l’enfant exprime son potentiel et pour observer ses difficultés en veillant à éviter tout risque de sous ou surdiagnostic. Des troubles fréquemment associés, par exemple un retard intellectuel, seront également recherchés.
Si le diagnostic d’autisme est confirmé, comment les acteurs de la prise en charge vont-ils s’articuler pour initier le projet d’intervention de l’enfant ?
IB – L’équipe de 2e ligne va informer le médecin traitant de son diagnostic et de ses préconisations. Elle lui indiquera les interventions éducatives et thérapeutiques qu’elle a prévues et dans lesquelles il pourra être amené à intervenir. Hormis le suivi des interventions qu’il a déjà initiées en 1re ligne, le généraliste reverra les parents pour lancer des démarches comme la demande d’Affection de longue durée (ALD) ou le certificat pour la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Il est essentiel que les parents puissent obtenir rapidement les aides dont leur enfant aura besoin.
AB – Suite au diagnostic, l’équipe de 2e ligne va se réunir et discuter du projet d’intervention avec les parents, et le mettre en œuvre en fonction des caractéristiques de l’enfant, des attentes des parents, mais aussi des ressources disponibles sur le territoire. Bien sûr, elle restera à la disposition du médecin traitant en cas de difficulté dans le suivi de l’enfant. Des liens réguliers pourront être entretenus entre le généraliste et l’équipe spécialisée qui assure la prise en charge. Les parents sont des interlocuteurs privilégiés de tous les acteurs du projet dès son initiation.
Pour conclure, il convient de préciser aux parents que, dès lors que l’autisme n’est pas associé à d’autres troubles développementaux, et qu’il est diagnostiqué de façon précoce, l’enfant peut évoluer de façon positive.
Notre rôle est aussi de changer le regard sur cette maladie pour que les enfants évoluent et que l’on puisse leur proposer un avenir en conformité avec leur compétence et leur potentiel.
J’ai ainsi l’exemple d’une jeune autiste qui avait un réel talent pour le dessin. Ses parents et l’équipe qui la suivait ont tenté de trouver une école qui veuille bien l’accueillir afin qu’elle puisse développer ses compétences artistiques. Ce ne fut pas facile, mais elle a pu intégrer une école de dessin. C’est un des exemples où l’écoute et le suivi individualisés sont essentiels.
* Propos recueillis par Arielle Fontaine (HAS) & Citizen press